Education /Gbémazo
Le petit Mamadou ira-t-il à l'école ?
Une partie du destin du petit Mamadou Samassi pourrait se jouer en cette rentrée scolaire 2022. Le natif de Gbémazo (sous-préfecture de Worofla, département de Séguéla) pourrait faire ses premiers pas à l'école primaire du village, l'école française, comme on dit.
C'est que Mamadou fréquente une école coranique du village. Chose bien souvent présentée comme un des freins à la scolarisation dans le septentrion musulman de la Côte d'Ivoire. D'où certaines stratégies et politiques du gouvernement pour qu'il n'en soit plus ainsi.
Flash back. Juillet 2022, je séjourne au village, à Gbémazo. Visite au patriarche Vafoumgbè Samassi, 75 ans, au quartier Colline-Château d'eau, pour des salamalecs.
Là, je rencontre un garçon de 8 ans, avec qui j'engage la conversation. Il s'appelle Mamadou Samassi. J'apprends qu'il ne va pas à l'école primaire publique du village, mais fréquente plutôt une école coranique.
Rien d'extraordinaire à cela dans cette localité musulmane, où bien de garçons et de filles ne vont toujours pas à l'école pour différentes raisons socio-économiques et culturelles.
La scolarisation et le maintien à l'école, notamment celle de la jeune fille, étant un combat permanent, malgré les bons résultats atteints ici à Gbémazo, grâce aux efforts de la mutuelle de développement.
Mamadou me dit qu'il aimerait bien aller à l'école française. Je dis à sa mère, Mariam Fofana, que Mamadou est désormais mon ami et que je souhaite qu'il intègre l'Ecole Primaire Publique du village.
Mais, Je comprends tout de suite qu'une telle décision capitale n'est pas de son ressort. Elle est "petite dans l'affaire ", comme on dirait au quartier.
Je demande à parler au père de Mamadou, Zoumana Samassi, 40 ans, mais il est en voyage. Je ne peux donc le voir pour engager le plaidoyer en faveur de la scolarisation de mon nouvel ami.
Mon séjour étant bref, je remets l'affaire à une autre fois, tout en demandant à sa mère de passer le message à son père, et partant à la famille.
Quelques jours plus tard, je suis à nouveau à Gbémazo pour des activités dans la région. Et "l'affaire Mamadou" est en bonne place à mon agenda.
Vazoumana Sanogo Kallet, mon partenaire de 40 ans sur les questions de développement du village, m'accompagne, ce 22 juillet 2022. Kallet est l'ex-président du Comité de gestion de l'école, le COGES, et est donc bien au fait des défis de l'éducation à Gbémazo.
Deuxième round de négociations, donc. La rencontre décisive. En face, le vieux Vafoumgbè Samassi, le grand-père paternel Mamadou. Je comprends vite que l'affaire a fait le tour de la famille et que le père de Mamadou est lui aussi "petit dans l'affaire". Il n'est pas des discussions parce qu'absent encore du village.
De tout façon, ici, la décision revient au vieux Samassi, le grand- père. Car le père et la mère de Mamadou vivent dans la cour familiale, sous sa coupe. Et, c'est au patriarche qu'incombe ce genre de décision importante.
Les discussions sont âpres à ma grande surprise. Je n'ai pas anticipé une telle "résistance", quoique bien conscient que j'ai affaire à des Samassi, ceux qui assurent ici l'Imamat et la direction des affaires islamiques. Les Sanogo, érudits en Islam, à la réputation établie dans toute l'Afrique de l’Ouest, leur ont accordé ce privilège quand ils les ont accueillis à Gbémazo lors de leur migration. Et ce, en signe d'hospitalité et de fraternité.
J'argumente qu'aller à l'école française, n'empêche pas d'être un bon musulman, d'accéder aux connaissances et préceptes du Coran ou que cela fait tourner dos à nos valeurs et traditions.
Ajoutant que j'ai, moi aussi, fréquenté l'école coranique avant l'école française. Et que pendant les vacances scolaires, mon père nous inscrivait à des cours coraniques.
Le vieux Samassi répond avoir bien compris tout cela, mais réitère que "ce qui est vraiment dans son cœur" est que son petit-fils continue d'aller à l'école coranique.
Pendant les échanges, une dame, certainement sa femme, lui chuchote quelque chose à l'oreille. Je vois déjà en elle une adjuvante à ma position. Une "Grande Royale", comme celle de Cheikh Hamidou Kane (L'aventure ambiguë), lui soufflant peut-être qu'il faut concéder que Mamadou aille, lui aussi, "apprendre l'art de vaincre sans avoir raison".
Avant la fin des négociations, le patriarche rappelle sa position, mais cette fois-ci avec une légère ouverture, quand il dit que les lignes peuvent toujours bouger. Je n'y crois pas vraiment. Pour moi, ce sont là des tournures diplomatiques d'un sage pour me renvoyer poliment.
Je n'insiste pas outre mesure et repars déçu. Avec le sentiment d'avoir perdu la bataille pour la cause de mon nouvel ami, Mamadou.
Le lendemain, le 23 juillet, j'apprends que le père de Mamadou est passé à mon domicile tôt le matin, mais je n'ai pu le voir.
Selon Kallet, il était venu m'annoncer que décision avait été prise que Mamadou aille à l'école. Et que cela se fera cette année.
Les lignes avaient donc vraiment bougé. A preuve, le lendemain du passage du père, le 24 juillet, tôt le matin, alors que je m'apprête à descendre sur Séguéla pour des activités, je reçois la visite surprise de Mamadou. Mamadou lui-même. Accompagné d'un autre petit garçon, un ami à lui.
Mamadou qui me rend visite après les discussions difficiles avec son grand-père ! Je prends cela comme la confirmation qu'il ira vraiment à l'école. Mais, pas de triomphalisme. Je demeure en mode prudence.
Bien qu'en retard sur mon programme de Séguéla, je prends le temps d'échanger avec le futur élève. Visiblement, il est heureux à l'idée qu'une autre page de sa vie va s'ouvrir.
Le sens de sa visite ? Je m'interroge encore. Etait-ce pour me remercier ? Sur recommandation de qui est-il passé me saluer ? Sa mère ? Son père ? Ou son grand-père ? Peu importe, mon ami Mamadou devrait aller à l'école. Avec sa visite, on ne devrait pas connaître de retournement de situation.
Avant de quitter le village, par le canal de Kallet, je fais parvenir à sa famille, une modeste contribution pour les frais d'écolage.
Mon ami Mamadou ira donc à l'école. Inch Allah !
Abdoul-Bakary SANOGO
Journaliste,
Expert en Communication,
Secrétaire Exécutif de la mutuelle "Actions pour le Développement de Gbémazo"
Côte d’Ivoire
Bsanogo1860@yahoo.fr